Taxes d’études: quand nationalisme et élitisme se nourrissent mutuellement

Depuis le temps qu’on le sentait venir, cette fois c’est fait : la classe politique s’attaque aux étudiant-e-s résidant à l’étranger. Parce que l’innovation sans frontières c’est un joli concept, mais qu’il ne faudrait pas être trop égalitaire non plus.

Le président de l’EPFL en rêvait, Roger Nordmann l’a fait : tripler les taxes d’études pour les étudiant-e-s résidant à l’étranger dans les écoles polytechniques, et indexer celles pour les résident-e-s suisses sur l’inflation. Que ce projet encore à l’étude ait été déposé par un parlementaire socialiste témoigne de l’ampleur du tour de force idéologique opéré ces dernières années sur les questions de formation. Nos fières élites de tous bords ont trouvé un nouveau moyen de nouer la rhétorique nationaliste avec leur vision élitiste et individualiste de la société.

Glissement individualiste

Les étudiant-e-s domicilié-e-s à l’étranger sont les parfait-e-s boucs-émissaires pour faire changer petit à petit la manière dont on pense l’éducation supérieure. S’ils et elles doivent payer plus, c’est parce que leurs parents ne paient pas d’impôts dans notre pays, nous dit-on. Cela sous-entend que l’éducation supérieure est un investissement individuel dans un produit, là où ce devrait être en réalité un droit pour chacun-e et un investissement de la société tout entière pour l’avenir de toutes et tous. La hausse des taxes pour les étudiant-e-s résidant à l’étranger ne relève pas de la nécessité budgétaire mais de considérations idéologiques: c’est l’apogée d’une vision mercanti- liste de la formation. Exit l’égalité d’accès, et place aux considérations carriéristes limitant le libre choix des études.

Glissement nationaliste

On nous en a rabâché de l’Europe de la formation. Bologne par-ci, Erasmus par-là, un beau et grand marché du travail et de la formation qu’on nous vendait. Et maintenant on nous dit d’arrêter de permettre aux gens de se former ailleurs. Pourquoi? Parce que c’est ce qu’on fait ailleurs, et que de toute façon ils/elles devront repartir après leur formation. Une concession de plus faite au nationalisme helvétique, et une nouvelle preuve que la construction européenne sous sa forme actuelle ne nous est imposée que quand elle sert les intérêts des chantres de l’économie de marché. Le résultat est effarant: petit à petit, on nous fait comprendre que seul-e-s les plus riches devraient être libres de choisir leur filière et leur lieu d’études.

L’exception lausannoise

Fort heureusement, l’Unil ne dépend pas de la Confédération mais de l’Etat de Vaud, dont la classe politique est encore attachée à une certaine idée d’égalité dans l’accès aux études. Notre université sera d’ici peu l’un des seuls vestiges d’une ère ou l’éducation supérieure était considérée comme un droit pour toutes et tous. Profitons pendant les quelques années qu’il nous reste, mais ne nous leurrons pas: un changement de paradigme est à l’œuvre, et il finira bien par nous tomber dessus. Soyons solidaires et
préparons-nous!

Etienne Kocher

Article publié dans L’auditoire n°214, avril 2013.